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Les productions générées par l’intelligence artificielle peuvent-elles bénéficier d’une protection par le droit d’auteur ?

L’avènement de l’intelligence artificielle a révolutionné de nombreux aspects de notre société, au rang desquels figure la création artistique. Certains algorithmes sont désormais capables de produire des œuvres musicales, littéraires, visuelles et même cinématographiques avec une qualité et une originalité digne des plus grands artistes toute discipline confondue.

Cependant, cette nouvelle ère de créativité algorithmique soulève des questions cruciales quant à la protection et à la propriété des œuvres générées par l’IA. En particulier, les problématiques relatives à l’application du droit d’auteur à ces créations suscitent un débat dynamique alimenté notamment par l’absence de décisions rendues par nos juridictions en la matière.  

Ainsi, les productions générées par l’IA, tels que les textes, récits, romans ou images peuvent elles se voir reconnaitre une protection par le droit d’auteur ?

Si les juges français n’ont, à l’heure actuelle, pas encore eu à trancher sur le point de savoir si les productions générées par l’intelligence artificielle peuvent se voir reconnaitre une telle protection, nul doute qu’ils puissent trouver inspiration auprès de leurs homologues américains en la matière, dont des décisions récentes offrent une motivation proche de notre législation.

Force est d’opérer une distinction entre d’une part, les créations générées de manière totalement autonome par l’IA (I), d’autre part, celles générées par cette dernière lorsqu’une personne physique a participé au processus de création (II) pour refuser ou accorder le bénéfice d’une protection par le droit d’auteur.

I. L’ABSENCE DE PROTECTION PAR LE DROIT D’AUTEUR DES PRODUCTIONS CONCUES EN AUTONOMIE PAR L’IA

Bien que le Code de la propriété intellectuelle ne définisse pas la notion d’auteur, nombre de ses dispositions attribuent cette qualité au créateur de l’œuvre personne physique.

En effet, c’est notamment le cas lorsqu’il définit l’œuvre de collaboration comme étant « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques » (Art. L113-2 CPI), ou lorsqu’il attribue la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle ou radiophonique à la ou aux « personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre » (Art. L113-7 CPI, Art. L113-8 CPI).

Il s’agit là d’une approche individualiste du droit de la propriété intellectuelle qui vise à conférer la protection par le droit d’auteur à une œuvre dont la paternité est attribuée, pouvons-nous considérer, exclusivement à une personne physique.

À ce titre, la Cour de cassation a pu rappeler qu’une personne morale ne pouvait se voir attribuer la qualité d’auteure d’une œuvre de l’esprit (Cass. 1ère15 janvier 2015, n°13-23.566 ; Cass. 1ère 17 mars 1982, JCP G 1983 ; Cass. Com. 5 novembre 1985, 130 RIDA 140 Bull. Civ. IV n°261 ; Cass. 1ère 19 février 1991, Bull. Civ. N°67).

Poursuivant ce raisonnement, nos juges devraient sans nul doute considérer qu’à défaut pour l’intelligence artificielle générative d’être une personne physique, elle ne pourra se voir reconnaitre la qualité d’auteur, et par voie de conséquence, voir ses créations protégées au titre du droit d’auteur.

C’est ce raisonnement syllogistique qu’a adopté le tribunal du district de Colombia aux États-Unis par décision du 18 août 2023 dans le cadre d’une affaire à l’occasion de laquelle un informaticien réclamait que soit attribuée la paternité de l’œuvre « A Recent Entrance to Paradise » à la machine informatique « Creativity Machine », IA générative.

Par décision du 18 août 2023 le Tribunal refuse de faire droit à la demande du requérant en rappelant que la protection d’une œuvre au titre du droit d’auteur implique l’intervention d’un auteur, qui ne peut être incarnée que par une personne physique.

La juridiction précise également « qu’en l’absence de toute implication humaine dans la création de l’œuvre », qui se trouve générée automatiquement par une machine intelligente, il ne peut lui être conférée une protection par le droit d’auteur.

Toutefois, même si nos juges venaient à adopter une position similaire en la matière, cela ne signifie pas pour autant que les œuvres entièrement et automatiquement générées par l’IA seraient dénuées de toute protection.

En effet, force est de rappeler d’une part, l’application des règles de droit commun et la possibilité d’invoquer notamment sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, l’existence d’une concurrence déloyale ou d’un parasitisme, sous réserve de rapporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.

D’autre part, si l’intelligence artificielle ne peut se voir conférer la qualité d’auteur d’œuvre de l’esprit, et partant, des droits attachés à celle-ci, il n’en demeure pas moins que l’utilisation par la machine informatique (pour les besoins de sa création) d’une œuvre préexistante serait conditionnée à l’autorisation de son auteur ou de ses ayants droits, sous peine de contrefaçon.

À ce titre, une proposition de loi du 12 septembre 2023, d’application néanmoins difficile, vise à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur et poser un cadre se voulant protecteur pour les droits des artistes/auteurs.

II. L’EFFECTIVE PROTECTION PAR LE DROIT D’AUTEUR DES ŒUVRES IMPLIQUANT LA PARTICIPATION ACTIVE D’UNE PERSONNE PHYSIQUE

De nombreux artistes contemporains explorent les possibilités infinies offertes par l’intelligence artificielle générative pour créer des œuvres d’art novatrices et captivantes. Repoussant les frontières traditionnelles de la créativité, ces artistes embrassent les algorithmes d’apprentissage automatique pour produire des pièces uniques qui défient les conventions artistiques établies.

À titre d’exemple, on peut citer notamment l’artiste Robbie BARRAT ou encore Réfik ANADOL artiste numérique et pionnier dans l’utilisation de l’intelligence artificielle pour créer des installations artistiques immersives telle que son œuvre « Machine Hallucination – Rêves de nature », explorant la relation entre le monde physique et le monde numérique (ci-dessus reproduite).

En utilisant des techniques tels que le deep learning et les réseaux génératifs adversariaux, ces artistes transcendent les limites de la pensée humaine pour donner naissance à des œuvres qui captivent et intriguent.

Si certains artistes se limitent à formuler des prompts en laissant l’IA disposer d’une liberté dans la réalisation de l’œuvre, d’autres lui fournissent de véritables instructions, fruits d’un travail réfléchi et bien souvent chronophage.

À titre d’exemple, on peut citer l’artiste Jason ALLEN, concepteur de jeux vidéo, ayant remporté en 2023 un prix grâce à l’œuvre réalisée à l’aide de l’IA générative Mid Jouney intitulée « Théâtre d’opéra spatial ».

Ce dernier indique que l’élaboration de cette œuvre aurait été particulièrement chronophage puisqu’elle représenterait plus de 80 heures de travail pour une centaine de prompts formulés.

C’est ainsi que la jurisprudence française rappelle régulièrement que l’absence d’intervention matérielle d’une personne dans l’élaboration de l’œuvre ne la prive pas nécessairement de la qualité d’auteur (Cass. 1ère Civ. 11 mai 2017, n°16-13.427 ; Cass. 1ère Civ. 6 janvier 2021, n°19-14.205).

En effet, afin de se voir reconnaitre la qualité d’auteur, il lui appartiendra de démontrer que la réalisation de l’œuvre a été effectuée sous son contrôle et selon ses instructions.

Dans le cas de la conception d’une œuvre insufflée par une personne physique et réalisée au moyen d’une intelligence artificielle générative par le mécanisme des prompts, il appartiendra à l’initiateur qui souhaite se voir conférer la qualité d’auteur de démontrer d’une part, que l’image, la musique, voire le texte généré est le fruit d’instructions précises conférant à l’œuvre son originalité, d’autre part, que l’IA générative n’a eu qu’un simple rôle d’exécutant matériel dans sa réalisation.

Au cœur d’un débat agité, la question de l’application du droit d’auteur à ces créations se trouve amplifiée par l’absence de jurisprudence établie sur ce sujet. Alors que les juges français n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la reconnaissance de la protection par le droit d’auteur pour les productions générées par l’intelligence artificielle, il est probable que les futures décisions ainsi que leur motivation soient comparables à celles de leurs homologues américains compte tenu de la similitude de leur législation.

Ainsi, une distinction s’impose entre les créations générées de manière totalement autonome par l’IA qui ne peuvent bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur, et celles réalisées avec la participation active d’une personne physique et pour laquelle la machine numérique joue simplement le rôle de simple exécutant.

Le cabinet de Maître Maëva BAKIR est à vos côtés pour sécuriser, valoriser votre création artistique, et garantir une protection efficace de vos droits de propriété intellectuelle.  

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